jeudi 1 mai 2008




Libres de nous montrer, libres de jouir, libres de laisser un string dépasser de notre jean. Libres d’afficher un lapin playboy sur nos t-shirts, libres de nous comparer à ces poupées dénudées et retouchées, plastiques et consentantes, vides de sens mais pleines de ce sperme qui gicle sur les pages de leurs magazines. Libres de s’imaginer jeunes et jolies alors qu’on finit si vieilles et si jetables, libres de détester celle qui parviendra à être encore plus salope que nous. Libres de jouer les provocatrices mais d’attendre sagement les jambes écartées.
Libres de rêver à un destin de Bridget Jones, de s'atteler à un boulot un peu chiant pour se payer des soirées entre copines le samedi soir, de la crème glacée et de la vodka pour noyer un malheur de célibataire rondouillette mal-aimée qui fantasme sur son patron. Le tout pour finir comme une pretty woman, une des choristes de Love Actually, enrôlées par un homme plus brillant, plus haut placé dans la hiérarchie, à distraire ces intellectuels coincés avec une fraîcheur presque provinciale de gentille gourde maladroite élevée à la culture Madonna.
Libres d’être différentes, plus douces et fragiles, plus matures, tellement moins viles. Libres de se limiter à Vénus puisque Mars semble si peu attrayant, libres d’être de vraies femmes aux gestes pleins de charme, puisque combattre ferait de nous des Miss Maggie. Libres de rester complémentaires à défaut de devenir leurs égales, d'attendrir à défaut d’être prises au sérieux.
Libres de ne plus leur obéir mais de réclamer leur argent et leur protection. Libres d’exiger de la compréhension, de la sensibilité mais une érection à toute épreuve. Libres de revendiquer la chair de leur chair comme notre propriété, celle pour laquelle on rêvera, celle qu’on idéalisera, celle qu’on frustrera à défaut de l’avoir vraiment été, libres …

dimanche 30 mars 2008

Un relent chaud de vieux nerf me tire du plus profond des sommeils. Une fatigue moite cloue ma carcasse au matelas mais mes paupières restent ouvertes, et je ne pense pas grand-chose sinon que je me sens si lourde, que mon estomac et ma tête me font un mal de chien.
Les restes d’alcool semblent s’être coincés quelque part dans mon ventre, je relève mon dos lentement, très lentement.



Bordel quelle soirée. Je pense avoir pris le premier ou le dernier métro, je me suis étalée dans mon lit et n’ai pas fait long feu. Hier soir j’ai dansé jusqu’à ne plus pouvoir remuer mes jambes et mes orteils, ce matin j’étire mes membres courbaturés sous la couette. Mes nouvelles chaussures m’ont fait de belles ampoules, mes ongles ont un peu déchiré ma peau, j’aurais dû prendre une plus grande pointure mais il n’y avait que celle-là et j’aimais tellement ces chaussures …
Elles habillent comme un rien, avec leur joli talon, fin juste comme il faut. Je ne porte pas toujours de talons, je ne maquille pas toujours mon visage et je ne souris pas toujours aux amis des amis que je ne connais pas. Je suis plutot de ceux qui observent les autres idiots s’aborder, se parler, se toucher, comme si ils se comprenaient, comme si ils allaient s’en rappeler le lendemain.
Mon estomac s’est creusé, je devrais avaler quelque chose mais je n’ai pas faim, ma bouche est engourdie et pâteuse, je ne me suis pas couchée hier soir mais ce matin, il est déjà seize heures, un autre dimanche de gaché.
Mes cheveux sentent la cigarette, tous fumaient autour de moi, je toussais mais m’en fichais, j’essayais de danser tant bien que mal, je glissais un peu, à cause des talons, à cause du punch, mais je riais avec eux, je n’étais plus triste ou timide, j’étais presque belle. Ces chaussures habillent comme un rien, Justine m’avait prêté sa robe et mon corps l’épousait, se laissait faire, suivait les affreux boums boums rythmés que certains qualifient de musique …
Quelques larmes titillent ma gorge, je ne sais pas vraiment pourquoi, les nuages se balladent dans un ciel assombri de fin d’après-midi. Hier soir nous étions tous baignés de lumières colorées, et nos corps s’en immergeaient. Hier soir ma gorge ne pleurait pas, un goût étrange s’y imprimait, ce goût sucré qui dessine le sourire et illumine le visage jusqu’aux pupilles, avant de se répandre dans le ventre comme une chatouille et de rendre gracieux les gestes les plus ordinaires … C’était sans doute ça, la liberté.
Le silence résonne dans cette chambre, un vieux silence de quotidien, de dimanche gris.

dimanche 2 mars 2008


Le petit Grégoire n’aime pas les récréations, quand la sonnerie retentit il ne court pas dans les couloirs, n’arrache pas sa veste du portemanteau, il se dirige lentement vers le petit escalier près du préau, il s’assoit sur les marches et attend.
Le petit Grégoire n’aime pas jouer, il laisse ses yeux se perdre, il n’a pas besoin de regarder puisqu’il voit déjà. Ses pupilles noyées dans ses gros carreaux s’attardent sur les autres enfants. Ils dessinent une marelle sur le sol et étalent de la craie sur leurs doigts, se prennent les pieds dans leur corde à sauter.
Le petit Grégoire n’aime pas pleurer, ses camarades se bousculent, trébuchent, se battent, geignent et sanglotent, lorsqu'ils s'écorchent le genou ou se griffent dans le cou, mais Grégoire ne laisse jamais aller ses larmes, personne ne lui fait mal puisque personne ne le touche.
Le petit Grégoire n’aime pas rire, rien n'est assez drôle pour lui, parfois un semblant de sourire fend ses joues, mais ses yeux restent tristes. Sa mamie le pose seul sur son canapé devant des dessins animés, Grégoire penche la tête sur le côté, observe de travers, avec attention, on dira qu'il ne comprend pas tout, qu'il est trop jeune, mais il n'a tout simplement pas envie de rire.
Le petit Grégoire n’aime pas frémir, ses cousins se cachent derrière la porte, puis se jettent sur lui en criant, mais il ne sursaute pas, il crie un peu, "ah, vous m'avez fait peur", et ses yeux restent les mêmes. Il ouvre ses cadeaux et demande combien Mamie a bien pu les payer, mais voyons Grégoire, c’est le Père Noël qui te les amenés, et le semblant de sourire de Grégoire répond à sa place.
Le petit Grégoire n’aime pas les parcs publics, qui ne sont que de grandes cours de récréation remplies d’enfants et d’animaux, pourtant sa mamie l’y traîne chaque dimanche, lui donne du pain et lui demande d’en jeter des morceaux aux canards, mais Grégoire sait que son pain ne changera rien, que les canards ne sont les amis de personne et que rien n’est plus stupide que leur grand bec.
Le petit Grégoire est timide, il ne dit rien mais laisse défiler ses pensées précieuses derrière ses carreaux, il ne répond pas aux questions qu'on lui pose, ça ne l'intéresse pas, il préfère son monde, ce monde qu'il s'est fabriqué, loin de la mare, des canards et des cordes à sauter.

Pour en savoir plus sur la photographe :
http://www.flickr.com/photos/insilme
http://insilme.free.fr/blog/index.html

samedi 26 janvier 2008

Une journée à Berlin

Willkommen, Bienvenue, Welcome.

Une succession de cuisses nues et grassouillettes vient chanter le bonheur et la liberté, un peu faux, un peu trop fort, mais peu importe puisque tous les éclairages se rivent sur ces visages maquillés et que le piano plaque ses accords rythmés. Les dissonances pointent à peine leur nez, mais le spectateur sait déjà ce qui l’attend, quelle douleur grise va inonder Berlin et le Kit Kat Club.
Car elle est bien là, son murmure a imbibé chaque mur de la ville, chaque sculpture, et ce monument dédié aux déportés quelque part, près de l’ancien mur.



Ses blocs se succèdent, de plus en plus grands, de plus en plus gris, la pluie vient cogner la pierre, s’écoule en milliers de larmes. La mort s’y promène comme une vieille amie, répand l’odeur de ces montagnes de chaussures et de vêtements dont l’eau efface les couleurs. Le chemin se fait de plus en plus étroit, s’enfonce dans cette forêt pétrie de peur et de cris. L’angoisse se resserre sur l’estomac, tandis que le spectateur avance, à présent trop petit pour échapper à ces étendues mortuaires et à leurs échos. Il grimpe sur une marche, aperçoit l’édifice de plus haut, mais rien n’y fait, toujours une voix d’enfant pousse un cri déchirant, qui supplie, demande pourquoi ...

Vers où fuir ?
Contre quel mur s’adosser pour ne plus entendre résonner la douleur ?

Le mur, le grand, le terrible mur, lui, s’est écroulé, pourtant des voix se propagent encore indistinctement alentour, des miettes s’échappent, et les affiches s’effritent. Derrière le vernis craquelé, toujours du gris, toujours cette pluie qui creuse le béton, caresse les visages grimaçants. Le fantôme est bien là, souriant ou perplexe dans son uniforme gris ou beige, de cette couleur indéfinissable de banalité.



Des visages, des couleurs, des phrases tape-à-l’œil tapissent les quelques restes du mur. Plus de ce gris plat et monocorde, on veut du rose, des paillettes, du bonheur vif, des cuisses. Pas des grassouillettes, des fines, maigres comme ces starlettes d’Hollywood, on veut du burger, pas ces bouillies de légumes qu’on nous sert dans les cantines.



Mais le vent de l’Est souffle encore derrière les buildings, se vend aux magasins de souvenirs comme un gadget démodé. Des musées ou autres lieux attrappe-touristes exposent les vêtements, meubles et photographies de cette époque révolue, de ses batiments gris mais de ses tapisseries oranges, de sa prison et de ses chiffres, tout n’était pas rose mais l’Amérique n’est toujours pas venue s’installer à Berlin.



Willkommen, Bienvenue, Welcome. Le cabaret de Berlin retrouve ses dissonances et sa force, la mélodie se reconstruit au fil de monuments, de musées, de culture, de ses rues parsemées de gens et d'éclairages, ses feuilles d’automne chantonnent quelques couleurs.
Pas de rose mais surtout pas de gris, juste un peu de lumière.



Merci à Orianne pour la plupart de ces photos ...