mercredi 5 décembre 2007

Le soleil pâle étend ses reflets sur l’eau calme de la piscine, la cousine y plonge son petit orteil à la dégoûtée avant de gémir, trop froide.
Lily, trop petite pour le grand maillot à fleurs jaunes de la tante, s'approche à grands pas de la piscine en souriant, saute en serrant ses genoux, pince son nez, éclabousse la cousine au passage.
Je profite des derniers rayons pour bronzer, en pestant secrètement contre Maman, qui depuis plus de trois heures bavarde avec les invités, fait de l’esprit, rit aux éclats et en oublie jusqu’à mon existence. La tante s’approche de moi, me propose un petit four, en profite pour me poser les questions d’usage, comment se finit l’année, comment se prépare mon départ, ou ai-je bien pu acheter mon maillot …
À présent à cours de banalités, la tante s’éloigne. Merci Maman ! Je t’avais pourtant dit que je devais rentrer tôt, qu’une méga fête m’attendait … Me voilà coincée ici, à respirer les vapeurs de viande grillée et à entendre l’oncle discutailler, à le voir distribuer sa foutue Clairette aux convives, tout sourire dans son polo Ralph Lauren, tandis que la grand-mère lui arrache sa quatrième coupe des mains.
« Mais non je n'ai bu qu'un verre ou deux, et puis ce n’est pas tous les jours la fête, à mon âge, je ne serai pas toujours là, tu sais, et la petite qui part bientôt, ça nous rajeunit pas tout ça. »
L’oncle s’éloigne, ignore les jérémiades de la grand-mère comme on pousse un mouton de poussière sous une vieille armoire.
Le barbecue, sous ses faux airs de bonne franquette, est gentiment planifié, ne pas donner trop à boire à la mamie, prévoir pour tous mais ne pas oublier les rondouillettes qui veulent perdre leur graisse avant de s’exposer au soleil, ne rien laisser au hasard. Je remarque qu’on m’a moins proposé à manger que de coutume, je dois avoir pris un peu de poids et serai vite remise au régime, à la bouffe « équilibrée » …
Le dosage, le juste milieu, et toutes ces choses dont l’oncle et la tante raffolent. Ceux-là qui fuient l'excès comme la peste, au point de prêcher partout les bienfaits de la modération, d’un catholicisme écœurant, plus proche de la réunion tupper-ware que d’une quelconque spiritualité.
Leurs enfants, élevés dans la tradition de l'équilibre, font un peu de tout, leur épanouissement en découlera.
Une heure de catéchisme par semaine, au même titre qu'une heure de piano, durant laquelle le cousin apprendra Haydn, Kulhau et autres besogneux, au lieu d'aborder plus tardif, plus romantique et moins bien dosé.
Surtout, pas de compositeurs ou d'airs connus, trop facile, trop vulgaire.
Pour se détendre, éveiller un peu sa créativité, le cousin jouera un morceau de boggie ou d'un autre genre qui évoque la musique populaire telle qu'ils l'aiment : faussement transgressive, véritablement mastoc et répétitive au possible. Le tout avec à peu près autant de swing qu'un manche à balai, le visage illuminé par un sourire satisfait d'enfant trop sage qui s'encanaille.
Une séance de sport hebdomadaire, mens sane in corpore sano, tennis pour le cousin et danse pour la cousine. Puisqu’il est plus sain qu’un garçon coure et qu’une fille pose. Et pourquoi ne pas assister à la chorale du collège (privé, cela va sans dire) le vendredi soir ? Cela leur laissera le temps de faire leurs devoirs le week-end.
Un peu de tout, surtout ne jamais déborder, ne pas tâcher les vêtements soigneusement repassés par maman. Manger proprement, ne pas jouer avec la nourriture, et attendre une heure avant de rentrer progressivement dans la piscine, ne pas se presser, les rebords sont glissants.
Jusqu'au matin ensoleillé de son été où la cousine se réveillera le visage bourgeonnant de son acné juvénile, surcharge de gras pour Monsieur et Madame, habitués à décrasser sa peau à coup de savon, osera enfin plonger dans la piscine, emmêler ses cheveux, raccourcir ses jupes, prendre des seins et de la graine. Les réunions familiales seront alors nettement moins ennuyeuses.
Chaque année, un nouveau cousin, ou le frère d’une quelconque pièce rapportée, devait faire son apparition. J’attendais son arrivée avec impatience, je le rêvais belle, grande gueule, débordant de partout. Son sourire et la petite lumière qui émanerait de ses yeux me secoueraient comme un accord dissonant, bleu, ce genre de note de mauvais goût qui ne colle pas avec le blanc cassé de la nappe.
Il viendrait me sauver, m’emmener sur son bateau à huit voiles et cinquante canons …
Mais mon pirate ne faisait jamais son apparition, et me laissait entre les mains des immondes tortionnaires qui me servaient de famille.
Ma peau commence à rougir, je la laisse faire par compassion pour ces pauvres brochettes que l’oncle a oubliées sur le feu.
Décidément, il est temps pour moi de partir.