dimanche 30 mars 2008

Un relent chaud de vieux nerf me tire du plus profond des sommeils. Une fatigue moite cloue ma carcasse au matelas mais mes paupières restent ouvertes, et je ne pense pas grand-chose sinon que je me sens si lourde, que mon estomac et ma tête me font un mal de chien.
Les restes d’alcool semblent s’être coincés quelque part dans mon ventre, je relève mon dos lentement, très lentement.



Bordel quelle soirée. Je pense avoir pris le premier ou le dernier métro, je me suis étalée dans mon lit et n’ai pas fait long feu. Hier soir j’ai dansé jusqu’à ne plus pouvoir remuer mes jambes et mes orteils, ce matin j’étire mes membres courbaturés sous la couette. Mes nouvelles chaussures m’ont fait de belles ampoules, mes ongles ont un peu déchiré ma peau, j’aurais dû prendre une plus grande pointure mais il n’y avait que celle-là et j’aimais tellement ces chaussures …
Elles habillent comme un rien, avec leur joli talon, fin juste comme il faut. Je ne porte pas toujours de talons, je ne maquille pas toujours mon visage et je ne souris pas toujours aux amis des amis que je ne connais pas. Je suis plutot de ceux qui observent les autres idiots s’aborder, se parler, se toucher, comme si ils se comprenaient, comme si ils allaient s’en rappeler le lendemain.
Mon estomac s’est creusé, je devrais avaler quelque chose mais je n’ai pas faim, ma bouche est engourdie et pâteuse, je ne me suis pas couchée hier soir mais ce matin, il est déjà seize heures, un autre dimanche de gaché.
Mes cheveux sentent la cigarette, tous fumaient autour de moi, je toussais mais m’en fichais, j’essayais de danser tant bien que mal, je glissais un peu, à cause des talons, à cause du punch, mais je riais avec eux, je n’étais plus triste ou timide, j’étais presque belle. Ces chaussures habillent comme un rien, Justine m’avait prêté sa robe et mon corps l’épousait, se laissait faire, suivait les affreux boums boums rythmés que certains qualifient de musique …
Quelques larmes titillent ma gorge, je ne sais pas vraiment pourquoi, les nuages se balladent dans un ciel assombri de fin d’après-midi. Hier soir nous étions tous baignés de lumières colorées, et nos corps s’en immergeaient. Hier soir ma gorge ne pleurait pas, un goût étrange s’y imprimait, ce goût sucré qui dessine le sourire et illumine le visage jusqu’aux pupilles, avant de se répandre dans le ventre comme une chatouille et de rendre gracieux les gestes les plus ordinaires … C’était sans doute ça, la liberté.
Le silence résonne dans cette chambre, un vieux silence de quotidien, de dimanche gris.

dimanche 2 mars 2008


Le petit Grégoire n’aime pas les récréations, quand la sonnerie retentit il ne court pas dans les couloirs, n’arrache pas sa veste du portemanteau, il se dirige lentement vers le petit escalier près du préau, il s’assoit sur les marches et attend.
Le petit Grégoire n’aime pas jouer, il laisse ses yeux se perdre, il n’a pas besoin de regarder puisqu’il voit déjà. Ses pupilles noyées dans ses gros carreaux s’attardent sur les autres enfants. Ils dessinent une marelle sur le sol et étalent de la craie sur leurs doigts, se prennent les pieds dans leur corde à sauter.
Le petit Grégoire n’aime pas pleurer, ses camarades se bousculent, trébuchent, se battent, geignent et sanglotent, lorsqu'ils s'écorchent le genou ou se griffent dans le cou, mais Grégoire ne laisse jamais aller ses larmes, personne ne lui fait mal puisque personne ne le touche.
Le petit Grégoire n’aime pas rire, rien n'est assez drôle pour lui, parfois un semblant de sourire fend ses joues, mais ses yeux restent tristes. Sa mamie le pose seul sur son canapé devant des dessins animés, Grégoire penche la tête sur le côté, observe de travers, avec attention, on dira qu'il ne comprend pas tout, qu'il est trop jeune, mais il n'a tout simplement pas envie de rire.
Le petit Grégoire n’aime pas frémir, ses cousins se cachent derrière la porte, puis se jettent sur lui en criant, mais il ne sursaute pas, il crie un peu, "ah, vous m'avez fait peur", et ses yeux restent les mêmes. Il ouvre ses cadeaux et demande combien Mamie a bien pu les payer, mais voyons Grégoire, c’est le Père Noël qui te les amenés, et le semblant de sourire de Grégoire répond à sa place.
Le petit Grégoire n’aime pas les parcs publics, qui ne sont que de grandes cours de récréation remplies d’enfants et d’animaux, pourtant sa mamie l’y traîne chaque dimanche, lui donne du pain et lui demande d’en jeter des morceaux aux canards, mais Grégoire sait que son pain ne changera rien, que les canards ne sont les amis de personne et que rien n’est plus stupide que leur grand bec.
Le petit Grégoire est timide, il ne dit rien mais laisse défiler ses pensées précieuses derrière ses carreaux, il ne répond pas aux questions qu'on lui pose, ça ne l'intéresse pas, il préfère son monde, ce monde qu'il s'est fabriqué, loin de la mare, des canards et des cordes à sauter.

Pour en savoir plus sur la photographe :
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